Méthodologie

Nous avons mis en place sept étapes dans la réalisation du projet : de la définition du corpus à l’obtention des droits de diffusion par la mise en place de partenariats, en passant par la numérisation des manuscrits, leur datation, la transcription des différents témoins, leur comparaison et l’édition de la version choisie.

Introduction

Au début du siècle, Henri Lemonnier envisageait déjà l’édition du cours de Desgodets sur la Commodité. Jean-Marie Pérouse de Montclos avait repris à son compte l’idée d’une telle édition dans les années 80, mais le projet était resté sans suite. L’originalité immédiate du sujet de ce cours explique en grande partie qu’il ait focalisé l’attention. Pourtant, ce cours s’inscrit dans un ensemble plus large. Il constitue d’abord la suite d’un premier cours sur les ordres qui se révèle plus intéressant que son titre pouvait le laisser paraître. Par ailleurs, l’enseignement plus technique de Desgodets sur le Toisé ou les Servitudes donne un relief et une cohérence tout à fait particulière à l’ensemble de son enseignement. Mis à part celui sur les Lois des bâtiments qui fut publié de manière posthume par un « disciple ». Les autres cours de Desgodets sont restés jusqu’à nos jours inédits. Pourtant, le nombre de copies conservées suffit à attester de leur importance dans la culture architecturale du XVIIIe siècle. De ce point de vue, la publication d’une édition critique des cours de Desgodets avait le mérite de faire entrer dans l’histoire de l’art tout un pan de la théorie architecturale.
On parle d’édition critique, ou d’édition scientifique, l’adjectif dans appellation venant en désigner le caractère savant, au sens où il s’agit de produire une reproduction contrôlée d’un texte dont sont procurés les états, versions, variantes et leçons. De ce point de vue, l’édition critique constitue selon la définition du manuel de l’École nationale des chartes sur l’édition des textes médiévaux un : « Essai de reconstitution d’un texte, pour lequel l’éditeur pèse chacun des mots du texte en se servant de tous les moyens de jugement dont il dispose. Cas particuliers : l’édition imitative ou diplomatique qui reproduit très exactement un document unique, jusqu’en ses particularités graphiques et mêmes ses erreurs, commentées à part mais pas corrigées dans le texte ; l’édition synthétique, intégrant différents états du texte suffisamment peu différents, moyennant un artifice typographique, avec comme variante l’édition génétique, qui rend compte par des artifices typographiques des différentes couches et états successifs du texte ; l’édition variorum, qui donne le texte accompagné, outre l’apparat normal des variantes, de toutes les solutions des éditeurs précédents. »[11]
Même si le domaine de l’édition scientifique a connu de profonds changements au cours de ces dernières années avec l’irruption du numérique, les opérations à la base de toute édition critique sont toutefois restées pour l’essentiel identiques. La tâche principale de l’éditeur est de produire un texte fiable et consistant, avec des partis-pris éditoriaux explicites et appropriés. Une telle édition mobilise des savoirs relativement étendus. Elle implique que l’éditeur dispose non seulement des savoirs traditionnellement associés à l’édition des sources primaires. Il doit en effet être en mesure d’identifier comment le texte a été construit, à la fois comme document et comme instance de l’œuvre. Il doit également savoir comment celui-ci a été transmis, altéré ou transformé au cours du temps, etc. Mais l’éditeur doit encore être en mesure de connaître son lectorat, et d’identifier la meilleure manière de communiquer les textes, et ce qu’il en sait. Ainsi : « Une édition critique n’est pas une reproduction photographique. Elle résulte d’un compromis raisonnable entre, d’une part, le respect du texte à publier (dont on ne doit en aucun cas moderniser la graphie) et, d’autre part, le souci de le rendre aussi intelligible que possible pour un lecteur d’aujourd’hui. »[12]
La production d’une édition critique de qualité exige donc d’avoir bien défini sa destination. Cette question est déterminante même si l’on ne renonce généralement pas à toucher un public un tant soit peu élargi. S’agissant ici de mettre à disposition un corpus de textes inédits, établi d’après une tradition abondante de témoins manuscrits, l’édition des cours de Desgodets offrait un intérêt tout particulier pour l’historien de l’art et l’historien du droit. Elle se devait de présenter toutes les qualités habituellement requises par une édition de haute tenue scientifique en termes de fiabilité, de solidité et de justification des partis pris. S’agissant d’un matériau entièrement neuf pour la recherche, il s’agissait également de faciliter son étude et de prendre en compte certaines particularités propres à des manuscrits architecturaux pour la consultation.
Nous examinerons successivement les questions habituellement posées par l’établissement du texte et ses différents témoins. Puis nous aborderons la méthode d’édition retenue pour ce corpus.

La définition du corpus

La mise au jour de documents d’archives inédits[13] dont l’inventaire après décès de Desgodets à partir duquel l’imprimeur libraire Jean Mariette dresse la liste des portefeuilles d’estampes et traités d’architecture manuscrits qu’il prise et estime nous permet de dresser un état des cours manuscrits possédés par Desgodets à son décès et la valeur attribuée à chacun d’eux apporte une idée du poids que son travail représentait pour le regard averti du collectionneur renommé, expert féru d’arts en tout genre, chargé d’évaluer sa bibliothèque.
« 
Premièrement un portefeuille d’estampes cotté numéro premier prisé la somme de quarante livres, cy xl #
Item un autre portefeuille d’estampes cotté numéro deux prisé la somme de cinquante livres, cy l #
Item un autre fauteuil portefeuille d’estampes et mauvais desseins cotté numéro trois prisé la somme de quinze livres, cy xv #
Item cent trente huit planches des Ediffices antiques numéro quatre estimés la somme de quatre cent livres, cy iiiic #
Item le manuscrit du traité des cinq ordres d’architecture avec les brouillons cotté numéro cinq prisé la somme de deux cent livres, cy iic #
Item le manuscrit du traité de l’ordre d’architecture francoise cotté numéro six prisé la somme de vingt cinq livres, cy xxv #
Item le traité des domes des églises cotté numéro sept estimé la somme de quinze livres, cy xv #
Item partie d’un traité de la commodité des bâtiments publics et particuliers cotté numéro huit prisé la somme de vingt livres, cy xx #
Item le traité du toisé des bastimens cotté numéro neuf prisé la somme de trente livres, cy xxx #
Item le traité des servitudes et rapports des jurés, cotté numéro dix prisé la somme de quarante livres, cy xl #
[14] »
Les estampes (en y joignant celles des Edifices antiques, pour lesquelles il existe un véritable marché) sont estimées à 505 livres. Les quatre thèmes des cours sont représentés ensuite :
  • pour les ordres, 225 livres ;
  • pour les commodités, 35 livres ;
  • pour le toisé, 30 livres ;
  • et pour les servitudes, 40 livres
.
Certaines de nos hypothèses de départ n’ont pu être confirmées. Parmi les éléments cités dans le projet, nous avions repéré un autre type de cours d’architecture à la Bibliothèque de l’Institut, attribué à Desgodets, et qui pourtant s’est révélé après analyse être l’œuvre de Courtonne[15]. De plus, d’après Hélène Rousteau-Chambon, Desgodets aurait enseigné dans sa dernière année la coupe des pierres et le dessin et la perspective, mais nous n’en avons conservé aucune trace[16]. Le toisé qui aurait été édité par son collègue de l’Académie Charles-François Delépée, n’a pas été retrouvé. Enfin un manuscrit repéré à l’École nationale des Ponts et Chaussées s’est révélé après consultation ne pas être un cours de Desgodets.
Nous avons en revanche découvert un ensemble de quatre cours de Desgodets importés en Suède et conservés dans une bibliothèque privée qui nous ont beaucoup servi pour appréhender la diffusion et l’impact des cours en Europe[17]. Le toisé de Compiègne a finalement été retrouvé alors qu’il semblait avoir disparu sous les bombardements[18]. Mais il reste très probable que nous découvrions plus tard d’autres manuscrits, comme le manuscrit du Traité des ordres d’architecture et de toutes leurs parties, expliqué en l’Académie roiale d’architecture par Mr Desgodets architecte des batimens du Roi et professeur de ladite Académie par J. Mansart de Jouy (in-fol.) qui aurait appartenu à Giuseppe Bossi et qui aurait été vendu aux enchères en 1717 au libraire milanais J. P. Giegler qui en propose la vente dès février 1818.
Au final, notre corpus comprend 26 manuscrits et 7 ouvrages imprimés, soit 33 documents. 5 manuscrits connaissent une édition critique, à laquelle nous avons rapporté les autres témoins manuscrits pour les variantes significatives. Ces autres manuscrits ont simplement fait l’objet d’une transcription diplomatique.

L'établissement du texte

Comme le relevait déjà Jean Varloot en 1980, « l’édition de textes français moderne est un domaine qui est loin d’être l’objet de lois ou d’usages admis par tous »[19]. Malgré les efforts des érudits du XIXe siècle et la création d’importantes collections scientifiques, ou plusieurs grandes entreprises d’œuvres complètes, il subsiste une grande variabilité dans les conceptions et surtout dans les pratiques. En outre, par rapport à leurs collègues littéraires, « les éditeurs de sources documentaires, ont généralement tardé, en France particulièrement, à intégrer une interrogation de méthode sur les implications de leur travail »[20]. En l’absence de règles clairement établies et partagées dans la communauté scientifique, la définition d’un protocole de transcription du texte s’est avérée plutôt difficile.
Il était néanmoins possible de se référer au guide de transcription des textes anciens publié sous la direction de Bernard Barbiche et Monique Châtenet par l’Inventaire[21]. Dans la mesure où ces indications sont relativement sommaires et datent des années 1990, celles-ci méritent une mise à jour et une révision de fonds en comble, notamment pour prendre acte de l’irruption des techniques d’édition électroniques, mais aussi de l’évolution de la doctrine. Il est probable que la publication annoncée, et et on l’espère prochaine, d’un manuel de l’École nationale des chartes concernant l’édition des textes de l’époque moderne viendra clarifier la situation.

La transcription des manuscrits

S’agissant d’éditer des textes à partir de manuscrits dépourvus de tradition imprimée, leur transcription constituait une étape cruciale du processus éditorial. Dès le début du travail, un protocole de transcription a dû être mis sur pied. En l’absence de recommandations récentes pour l’édition des textes de l’époque moderne, c’est le travail publié par Bernard Barbiche et ses collègues dans la collection de l’Inventaire qui fait référence[22]. L’équipe de transcripteurs a donc formulé les premières propositions concernant la transcription des manuscrits à partir de ces indications. Toutefois, eu égard aux besoins particuliers du projet ayant trait à la comparaison des divers témoins, une modernisation de l’orthographe des textes a dans un premier temps été proposée sauf à conserver la graphie originale des termes architecturaux et juridiques, ou les particularités significatives.
Cette liberté avait été envisagée dans la mesure où aucun manuscrit (hormis le O1 qui n’était pas un cours mais un traité proprement dit) n’était de la main d’Antoine Desgodets, qu’un nombre conséquents de témoins permettaient d’étayer l’établissement du texte, et que la graphie des manuscrits ne semblait présenter très généralement qu’un intérêt limité du point de vue de la compréhension et de la signification. Une telle attitude semblait admise pour l’édition des textes littéraires postérieurs à 1600 et surtout à 1700[23]. La normalisation des transcriptions paraissait surtout fournir une solution pour réduire le bruit lors de l’étude des variantes à l’aide du logiciel MEDITE comme elle était prévue au début du projet. En outre, elle permettait de se focaliser uniquement sur les variantes significatives entre les témoins tout en permettant de produire un texte modernisé plus facilement accessible pour le lecteur contemporain.
Une telle solution n’a pas reçue l’approbation du Conseil scientifique du projet. Au contraire, les membres de ce conseil ont défendu une transcription la plus diplomatique possible, allant même au-delà des pratiques actuellement promue par l’École nationale des chartes pour les textes médiévaux. Il s’agissait d’une transcription la plus fidèle possible du manuscrit, où la graphie est généralement scrupuleusement respectée, améliorée seulement pour la ponctuation et l’accentuation. Une telle position de strict respect de la tradition philologique paraissait permettre de mieux comprendre les manuscrits et de mieux les situer les uns par rapport aux autres. Aux consignes publiées dans Guide de Bernard Barbiche et Monique Châtenet[24], le conseil scientifique ajoutait le respect des majuscules, réservant à l’éditeur le choix final sur la graphie à retenir.
Ce changement d’orientation intervenu dans les directives n’a pas nécessairement facilité le travail de transcription. Il a en partie impliqué la reprise de ce qui avait déjà été effectué mais aussi généré un surcroît de travail en matière de relecture des transcriptions des différents témoins que le Conseil scientifique souhaitait mettre à disposition (cette relecture n’est pas encore à ce jour tout à fait achevée). En outre, la modernisation restait nécessaire pour la comparaison. Il a donc été décidé d’opérer deux types de transcription : d’une part une transcription diplomatique, d’autre part une version modernisée pour permettre l’étude des variantes.
L’adoption d’un cadre de travail comme celui de la Text Encoding Initiative (TEI) dès l’initiation du projet, aurait pu permettre d’enregistrer simultanément la version originale et une version régularisée. Mais une telle modernisation de l’ensemble des textes était, de toutes les façons, irréaliste dans les délais impartis. En revanche, elle aurait pu offrir un contexte de travail très efficace pour le traitement des variantes des différents témoins.

La collation et la comparaison des témoins

Une fois les manuscrits transcrits, une collation des témoins était nécessaire afin de mieux les caractériser les uns par rapport aux autres. Cette opération consiste à comparer le texte des différents manuscrits en repérant les leçons variantes en chaque lieu variant des témoins du texte[25]. Le projet initial prévoyait l’utilisation d’un logiciel développé par l’Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM) pour les études de génétique textuelle[26]. Ce logiciel, EDITE MEDITE, posait des problèmes de versions de système d’exploitation pour pouvoir être installé sur l’ensemble des postes de travail des membres des équipes d’édition. Une autre solution logicielle a donc été recherchée.
Plusieurs logiciels ont été identifiés comme pouvant répondre aux besoins du projet : l’outil Unix Diff, Versionning-Machine[27], CollateX[28], ou encore Juxta[29]. Après plusieurs tests, nous avons retenu le logiciel Juxta qui nous paraissait à la fois le plus flexible et le plus simple d’emploi. Le logiciel était multiplate-forme et son interface graphique permettait d’aligner facilement le texte et de localiser aisément les lieux variants dans le texte. Par ailleurs, il était à la fois possible de l’utiliser avec des fichiers texte ou des fichiers XML-TEI ce qui était bien adapté à notre contexte de production.
Dans la plupart des cas il a été relativement difficile d’établir des familles de tradition parmi les manuscrits ou de déterminer des prototypes. Toutefois, un groupe de manuscrits suédois se dégage clairement de par leur provenance, et les deux manuscrits de la commodité semblent issus d’un même prototype. Les témoins étaient généralement peu divergents et présentaient peu de variantes de fond laissant supposer des interpolations. Néanmoins, certains témoins contenaient des passages absents dans d’autres manuscrits dont la présence pouvait être le fait de gloses du transcripteur ou d’une modification du cours donné par Desgodets au cours du temps. Le plus souvent les variantes concernaient des erreurs de lecture. On renvoit le lecteur à la présentation de chacun des manuscrits pour le détail de chaque cours.

Le choix d’une méthode d’édition critique

En l’absence de manuscrits autographes identifiés (hormis O1) ou de prototypes clairement déterminés parmi les témoins manuscrits conservés pour chacun des cours, l’établissement du texte de l’édition critique était problématique. Plusieurs traditions éditoriales s’affrontent dans le domaine de l’ecdotique pour les textes anciens. On a l’habitude de distinguer les approches reconstructionnistes, inspirées de Karl Lachmann, qui consistent à reconstruire l’aspect d’un texte à partir de ses témoins, d’approches plus conservatistes inspirées de Joseph Bédier et qui consistent à choisir un manuscrit de base en le corrigeant le moins possible[30].
C’est l’approche conservatiste qui a le plus de faveur aujourd’hui en France pour l’édition de sources documentaires. Celle-ci est plus respectueuse de la source et évite de produire un texte qui n’a jamais existé. Néanmoins, en présence d’un grand nombre de témoins, pour l’essentiel identiques, les cours ayant souvent été prononcés pendant plusieurs années, et donc leur contenu étant susceptible d’avoir varié au cours du temps, la production d’une édition composite pouvait être défendue malgré l’interdit formulé par Pierre-Georges Castex[31].
Bien sûr, il aurait été vain de prétendre rétablir le texte princeps de chacun des cours à partir d’une critique textuelle des différents témoins conservés. La recension stemmatique, nous paraissait peu praticable compte-tenu de la proximité des témoins et l’absence de certitude quant à l’existence d’un prototype unique. En revanche, l’approche dite éclectique, ou tout du moins celle de l’édition de référence, consistant à choisir les variantes semblant supérieures d’un point de vue interne parmi les différents manuscrits, pouvait avoir le mérite de rendre compte plus fidèlement, et plus complètement, du contenu réel de l’enseignement d’Antoine Desgodets.
Disposant de plusieurs états du texte autres que l’original, on a choisi de se contenter d’éditer un témoin en lui rapportant en note les variantes que présentaient les autres états par rapport au texte de base ainsi que le suggère le Guide de Bernard Barbiche et Monique Châtenet[32]. Comme on l’a dit, cette approche privilégie la source primaire mais il faut également avoir conscience qu’elle présente plusieurs inconvénients. D’abord, elle favorise l’intégration des fautes du copiste, telles que les interpolations ou l’intégration d’éventuelles gloses qui figurent dans le texte maître. Ensuite, elle ne permet pas de rendre compte directement, dans le corps du texte, de passages éventuellement manquants dans la version du manuscrit de base puisqu’elle renvoie les variantes dans l’appareil de notes.
Il n’existe certainement pas, en matière d’édition critique, d’approche idéale qui satisfasse tous les cas de figure. D’une certaine façon, ces débats sont en partie devenus caducs avec les techniques d’édition numérique. Il est, en effet, aujourd’hui tout à fait possible de proposer plusieurs vues sur un même texte. Mais ce n’est pas toujours réalisable en pratique, ne serait-ce que pour des raisons économiques. Et ces possibilités n’éliminent toutefois ni la signification ni la responsabilité de l’éditeur dans le choix des aspects mis en avant par une édition.

Le choix du manuscrit maître

Ayant choisi l’approche conservatiste, il restait à déterminer les critères de choix du manuscrit maître. À cet égard « chaque texte, en fonction de son histoire propre, impose un choix particulier. » dit Beugnot[33]. Les équipes éditoriales ont donc été laissées libres de proposer un manuscrit maître pour le cours qu’elles éditaient en justifiant de leurs critères de choix d’après une grille établie dans le cadre du projet. Le choix du manuscrit maître était définitivement arrêté à l’issue d’une discussion au sein du Conseil scientifique. Tout en renvoyant encore ici le lecteur aux présentations introductives des cours, soulignons cependant quelques aspects saillants concernant sa sélection pour chacun des cours :
Au terme de la recherche, le cours sur les ordres de Desgodets est connu par neuf manuscrits, dont cinq accompagnés de planches. Huit de ces versions présentent un plan identique, l’autre est un texte autographe plutôt bref, composé antérieurement sous la forme d’un traité, et probablement présenté au roi à l’occasion de sa visite à l’Académie royale d’architecture le 2 août 1719 comme l’indique une inscription apportée sur le manuscrit. Parmi les témoins, on relève une famille de manuscrits suédoise. Tous ces témoins présentent le même état du texte et ils commencent par un titre identique faisant référence au texte prononcé à partir du 13 novembre 1724. L’analyse laisse donc penser qu’ils sont issus d’un prototype commun[34].
L’équipe chargée de l’édition de ce cours a montré que si l’établissement des variantes s’était révélée importante pour restituer ou clarifier le sens de certains passages, l’absence de variantes de fond rendait difficile l’établissement d’une hiérarchie entre les manuscrits. Elle interprétait les nombreuses erreurs comme des problèmes de dictée laissant penser qu’aucun des témoins conservés n’avait été copié directement sur l’archétype mais qu’ils dérivaient de prises de note durant le cours. Les erreurs de lecture pouvant s’expliquer par la mise au propre, ou des copies de copies. Le choix du manuscrit maître repose en conséquence à la fois sur la présence de planches, la complétude du texte, le fait qu’il soit copié par un scripteur français, et sa bonne lisibilité.
Pour le traité de la Commodité, seuls deux témoins avaient été identifiés. La collation des transcriptions à l’aide du logiciel Juxta ne révélait aucune variante notable mis à part quelques fautes de copie ou omissions. L’apparition, dans la version du département des estampes de la Bibliothèque nationale de France, de numéros rayés en haut de certaines planches correspondant à ceux du Rijksmuseum, pouvait laisser penser qu’il en dérivait, ou bien qu’ils étaient tous les deux des copies d’un même prototype. Le texte et les figures véritablement très proches, nous avons malgré tout choisi d’éditer le manuscrit français qui avait le mérite de constituer le pendant de celui des Ordres par ailleurs retenu pour l’édition.
Le critère de datation ne permettait pas de discriminer clairement parmi les témoins identifiés pour le cours du toisé celui qui devait être privilégié. Néanmoins, certains d’entre eux présentaient un chapitre supplémentaire dans la seconde section. En choisissant un exemplaire disposant de toutes les planches, il a donc été privilégié un témoin comportant ce chapitre afin de disposer du texte le plus complet possible. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que ces ajouts ont pu être inclus postérieurement à l’initiative d’un tiers.
Pour les servitudes, les deux volumes manuscrits conservés à la Bibliothèque du Sénat sont les seuls témoins connus. Ces deux longs manuscrits ne sont pas comparables mais complémentaires, ils devaient cependant être rapportés au cours édité, après la mort de Desgodets en 1748, par l’un de ses continuateurs, Martin Goupy, sous le titre de Loix des bâtiments.

La prise en compte des variantes

Le texte du manuscrit maître de chaque manuscrit devait disposer d’un apparat critique informant sur les variantes des différents témoins. Conformément aux conseils de Barbiche, seules ont été retenues « les variantes qui [avaient] une incidence sur le sens du texte, à l’exclusion des particularités purement graphiques ou grammaticales. »[35]

La présentation de l’édition critique

La méthode d’édition critique bien établie, il convenait de régler le problème pratique de la présentation de l’édition. Ces choix déterminaient les modalités de consultation du texte. Même si une édition numérique offre plus de souplesse qu’une édition imprimée, elle n’en reste pas moins problématique sous cet aspect qui tient du parti-pris éditorial. Là encore, il n’existe pas de solution absolue en la matière, le meilleur dispositif étant celui qui sert le mieux le point de vue éditorial adopté ou qui offre les meilleures conditions d’accessibilité au texte. Avant de pouvoir établir un cahier des charges fonctionnel, il fallait donc arrêter clairement ce que devait véhiculer l’édition d’un point de vue scientifique. Les pré-requis pour l’édition que nous voulions produire étaient soit généralement liés au respect des conventions de l’édition scientifique, soit propres aux spécificités du corpus édité.

Le respect des conventions éditoriales et la présentation de l’apparat critique

La longue tradition de l’édition critique détermine en grande partie ce qu’est en droit d’attendre un lecteur lors de la consultation d’une édition. Elle fixe un ensemble de prérequis qui qualifient en grande partie l’édition. Au cours du temps, cette tradition a généré une grande richesse dans l’emploi des marques typographiques (barres, crochets, soufflets, etc.) pour signifier telle ou telle caractéristique matérielle, mais celles-ci n’ont pas toujours la même signification à travers les éditions. Elle a également fixé un certain nombre d’habitudes pour donner des éléments de repérage et de citabilité, pour indiquer la pagination du texte de base, une numérotation marginale des lignes, etc.
L’utilisation du support numérique a donné l’occasion d’explorer de nouvelles formes de présentation de l’apparat critique. Sa malléabilité a notamment permis d’envisager de manière nouvelle la présentation des variantes puisqu’elle permet de proposer alternativement plusieurs vues sur un même texte, ou encore par exemple de proposer à bien moindre frais qu’avec l’imprimé des éditions dites hyper-diplomatiques qui présentent des fac simili en regard du texte édité. Il n’en reste pas moins qu’une bonne édition numérique se doit de respecter un certain nombre de standards éditoriaux en particulier pour faciliter la citation ou rendre la consultation de l’apparat critique ou des notes de commentaire historique la plus aisée possible.

L’apparat critique

Dans une édition critique d’un texte ancien, on appelle apparat critique l’ensemble des notes fournies par l’auteur de l’édition pour justifier des choix opérés dans l’édition ou signaler certaines particularités de la source. L’apparat critique d’une édition a essentiellement une fonction descriptive. Il concerne la description des particularités matérielles du texte transcrit, et celle des autres états du texte s’il en existe par un relevé des leçons pour chaque passage.
Il est d’usage de fournir les leçons variantes du texte au moyen de notes critiques habituellement numérotées alphabétiquement. Bien que l’édition numérique permette de les afficher d’une autre manière (par exemple en proposant plusieurs vues), il a été choisi de les présenter en note. N’ayant pas totalement renoncé à une édition imprimée, une telle présentation permettait notamment d’être identique dans les deux versions. D’autre part, cette solution correspondait assez bien au mode de production du texte qui, comme nous le verrons plus loin, a été traité par les auteurs de l’édition critique à partir d’un logiciel de traitement de texte.
La lecture du texte ne présentant le plus souvent pas de difficultés très spécifiques, les autres aspects de l’apparat critique, comme l’indication des lacunes, des difficultés de lecture, ou des segments sémantiquement incorrects, etc., utilisent également une présentation typographique conventionnelle. Néanmoins, elle peut être enrichie par des artifices de présentation que permet le numérique tels que l’affichage au survol, etc.

Les notes de commentaire historique

L’édition envisageait également d’offrir au lecteur des notes de commentaire historique et une contextualisation de l’enseignement de Desgodets sous la forme de présentations à caractère historique. La consultation de chaque cours est donc précédée d’une introduction générale portant tant sur l’édition que sur l’historique du cours présenté. Par ailleurs, un arsenal de notes de commentaires historique devait pouvoir venir compléter l’apparat critique. Comme il est d’usage, ces appels de notes font l’objet d’une numérotation numérique. La publication des cours devait également être accompagnée d’introductions biographiques, historiographiques et méthodologiques.

Glossaires et index

Outre cet apparat critique et historique, nous avions le désir de fournir un glossaire des termes architecturaux et juridiques. C’est-à-dire une liste alphabétique des mots difficiles jouant le rôle d’un dictionnaire propre au texte pour favoriser sa compréhension[36]. En dehors des aspects de vulgarisation, un tel glossaire répondait aussi assez bien au caractère pluri-disciplinaire de l’édition pouvant à la fois intéresser les historiens de l’architecture et les historiens du droit.
Plusieurs index permettent également d’offrir différents types d’accès aux textes. En plus des index patronymiques et toponymiques habituellement requis dans une édition critique, nous envisagions l’établissement d’un index des matières. De tels index devaient fournir des listes d’occurrences dans les textes classées par cours.

Les modalités de consultation

S’agissant de mettre à disposition des chercheurs un matériau entièrement nouveau, de manière générale, les modalités de consultation des manuscrits que nous envisagions pour l’édition numérique devaient privilégier l’étude des textes et de leurs figures.

La consultation des différents témoins manuscrits

Faute d’être assurés d’obtenir les droits pour la publication de l’ensemble des reproductions des manuscrits, il n’était pas possible de produire une édition hyper-diplomatique qui offre un accès simultané aux transcriptions et aux fac simili des différents témoins. En revanche, conformément au vœu exprimé par le Conseil scientifique du projet, il a paru nécessaire d’offrir au lecteur une consultation des transcriptions des différents témoins. Au lieu de se contenter de les mettre à disposition sous forme de documents au format pdf, il nous paraissait plus judicieux d’autoriser le lecteur de les afficher, comme il le souhaitait, afin d’opérer lui-même la comparaison entre les témoins manuscrits. L’idée étant de lui proposer un contexte favorable pour une lecture rapprochée du corpus et de ses différents témoins.

La consultation et la comparaison des planches

S’agissant d’un cours d’architecture, nous avons vu à quel point les planches et figures tiennent une place importante dans l’intelligibilité du propos et sont à cet égard, pour ainsi dire, parties prenantes du texte. De surcroît, l’édition s’adressant principalement à des historiens de l’art, une attention particulière devait être accordée à la consultation des contenus graphiques. D’une part, pour l’intelligibilité du discours, il était nécessaire de pouvoir lire le texte en regard des planches. D’autre part, à fins de comparaison et à l’instar de ce qui devait être mis en place pour le texte, nous voulions que le lecteur puisse également comparer les différentes versions des planches. Le dispositif devait donc permettre, non seulement de visualiser les figures en regard du texte lors de la lecture, mais aussi de comparer les représentations contenues dans les différents témoins.

La recherche plein texte

Outre les index qui relèvent en grande partie de l’apparat critique, il s’agissait également de proposer au lecteur une recherche plein texte. La recherche dite plein texte est l’une des modalités de consultation du texte spécifiquement permise par le support numérique. Il nous paraissait donc difficile de nous en passer. Toutefois, pour être efficace, une telle recherche suppose un traitement particulier de la langue qui n’est pas sans présenter quelques difficultés ; a fortiori comme dans notre situation où le texte n’était pas modernisé. Si une telle fonctionnalité apparemment simple pour l’utilisateur nous paraissait nécessaire et attendue, sa mise en place efficace était loin d’être triviale.
Le projet d’ANR Desgodets débouchait donc sur la réalisation d’une ambitieuse édition du corpus des cours de l’architecte à l’Académie royale d’architecture. Parce qu’il s’agissait de publier des textes jamais édités précédemment, qu’elle fut numérique ou papier, la production d’une telle édition critique se devait de respecter un certain nombre de conventions éditoriales dans le domaine de l’édition scientifique et d’offrir un cadre le plus approprié possible à l’étude des témoins manuscrits. Enfin, une telle édition devait être adaptée au caractère particulier des textes architecturaux, notamment eu égard au rapport à l’image.

Notes

Bourgain, Pascale, et Vielliard, Françoise, Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques / École nationale des chartes, 2002, (Documents d'archives, n° Fascicule III, Textes littéraires).
Barbiche, Bernard, Chatenet, Monique, Delmas, Jean, Guyotjeannin, Olivier, et Belhoste, Jean- François, L'Édition des textes anciens : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Association Études, loisirs, patrimoine, 1993, (Documents & méthodes / Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, n° 1).
12 Ce texte a été publié, dans l’année de sa découverte par nous-mêmes, par l’équipe qui a édité le recueil autographe des relevés fait par Antoine Desgodets à Rome en 1676 et 1677 conservé à la Bibliothèque de l’Institut (Ms 2718), Louis Cellauro et Gilbert Richaud.
AN MC LIII, 245, Inventaire après décès d’Antoine Desgodets, 17 juin 1728.
Hélène Rousteau-Chambon, « Un manuscrit méconnu de Jean Courtonne, professeur à l’Académie royale d’architecture » à paraître.
Hélène Rousteau-Chambon, L’enseignement à l’Académie royale d’architecture. De Philippe de La Hire à Louis- Adam Loriot [1687-1762], Mémoire inédit HDR, Paris Est, 2011.
Linnéa Rollenhagen Tilly, «Carl-Johan Cronstedt in Paris (1732-1735): Instruction, Contact and Purchases », Art Bulletin of Nationalmuseum Stockholm, vol. 15, 2008, p. 101-108 ; « Quatre copies des cours d’Antoine Desgodets dans la bibliothèque de l’architecte suédois C. J. Cronstedt », dans Journée d’études organisée par le projet « Desgodets » sélectionné par l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du programme « Corpus et outils de la recherche en sciences humaines et sociales » et l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), 31 mars 2010 (à paraître) ; « Ur Carl Johan Cronstedts arkitekturbibliotek: fyra kopior av Antoine Desgodets opublicerade lektioner », Kronsthistorisk tidskrift/Journal of Art History, 2011, 80:4, p. 207- 218; « Knowledge of architecture and building technologies in 18th century Sweden », in R. Carvais, A. Guillerme, V. Nègre and J. Sakarovitch (dir.), Nuts & Bolts of Construction history, Picard, Paris 2012, vol. 1, p. 409-417 ; Carl Johan Cronstedt, arkitekt och organisatör - en man av sid tid (Carl Johan Cronstedt, architecte et organisateur - un homme des Lumières), livre en suédois à paraître.
Bibliothèque de la ville de Compiègne, 17, « Traité du toizé des bâtiments aux us et coutumes de Paris, par M. Desgodets, professeur de l’Académie royalle d’architecture, recueilli sur les minutes de l’auteur. » 1764, sur le titre : « Ex libris Bridault. », XVIIIe siècle, Papier, 280 pages, 246 sur 188 mm. rel. parchemin.
Varloot, Jean, « Les conventions dans l'édition de texte », Cahiers de l'Association internationale des études francaises, n° 1, t. 33, 1981, p. 101-110.
Conseils pour l'édition des textes médiévaux, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques / École nationale des chartes, 2001, (Documents d'archives, n° Fascicule II).
Barbiche, Bernard, Chatenet, Monique, Delmas, Jean, Guyotjeannin, Olivier, et Belhoste, Jean- François, L'Édition des textes anciens : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Association Études, loisirs, patrimoine, 1993, (Documents & méthodes / Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, n° 1).
Barbiche, Bernard, Chatenet, Monique, Delmas, Jean, Guyotjeannin, Olivier, et Belhoste, Jean- François, L'Édition des textes anciens : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Association Études, loisirs, patrimoine, 1993, (Documents & méthodes / Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, n° 1).
Varloot, Jean, « Les conventions dans l'édition de texte », Cahiers de l'Association internationale des études francaises, n° 1, t. 33, 1981, p. 101-110.
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Bourgain, Pascale, et Vielliard, Françoise, Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques / École nationale des chartes, 2002, (Documents d'archives, n° Fascicule III, Textes littéraires).
Bourgain, Pascale, et Vielliard, Françoise, Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques / École nationale des chartes, 2002, (Documents d'archives, n° Fascicule III, Textes littéraires), p. 212-213.
Varloot, Jean, « Les conventions dans l'édition de texte », Cahiers de l'Association internationale des études francaises, n° 1, t. 33, 1981, p. 101-110.
Barbiche, Bernard, Chatenet, Monique, Delmas, Jean, Guyotjeannin, Olivier, et Belhoste, Jean- François, L'Édition des textes anciens : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Association Études, loisirs, patrimoine, 1993, (Documents & méthodes / Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, n° 1).
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Rapport final du projet Desgodets (ANR-07-CORP-017-01), inédit, 2013, p. 34-36.
Barbiche, Bernard, Chatenet, Monique, Delmas, Jean, Guyotjeannin, Olivier, et Belhoste, Jean- François, L'Édition des textes anciens : XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Association Études, loisirs, patrimoine, 1993, (Documents & méthodes / Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, n° 1).
Bourgain, Pascale, et Vielliard, Françoise, Conseils pour l’édition des textes médiévaux, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques / École nationale des chartes, 2002, (Documents d'archives, n° Fascicule III, Textes littéraires).

Liste des figures

Fig n°1 Collation des variantes
Vue d’écran de la collation des variantes avec le logiciel Juxta.
URL http://www.desgodets.net/editionMethodologyIll0001
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